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Tour de France : Le Collectif Vélos en Ville était au Mont Ventoux !

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Vous avez sûrement tous vu cette étape du Tour de France, trois fois mythique.
Mythique d'abord car le mont Ventoux, ô combien célèbre, est une étape incontournable pour n'importe quel cycliste qui se respecte à 200 km à la ronde (personnellement, je ne l'ai pas fait, mais bon, c'est pour la tournure). Un classique, en somme. Le 14 juillet, les cyclistes venus de France, de Navarre et de plus loin même (il y avait même des Australiens) se massent au pied de la montagne pour la gravir, certains à pied, la plupart à vélo. D'abord, quelle compétition sportive est faite par les spectateurs avant les sportifs en compétition, autre que cette étape du Tour ? A-t-on déjà vu un club local marseillais jouter contre des supporters parisiens avant un OM-PSG ? A-t-on vu des coureurs à pied se faire un petit 400 mètres haies à côté du stade où se passent les JO ? Dans quelques heures, les coureurs du Tour arrivent après 170 km en plein cagnard, et nous les attendons en grimpant le mont Ventoux avant eux. Après tout, c'est simplement le transport le plus efficace pour arriver en haut de l'étape et assister à l'arrivée, mais cette manière de faire l'épreuve avant la vraie compétition m'épate. J'ai toujours considéré les compétitions sportives comme du spectacle, et d'un coup, le spectacle est fait par les spectateurs, une sorte d'apéritif en somme.

Et la folie de ce spectacle, c'est l'incroyable contraste entre ces cyclistes coureurs, ceux qui cherchent la performance, avec leur vélo de dentiste, carbone, cales auto, ultra light, ceux habillés de leur plus belle combinaison, ceux qui ne regardent personne et grimpent sérieusement avec leur paquet de jus ultra vitaminé, les cyclistes randonneurs, porte-bagage pour amener la table de pique-nique, la quille de rouge et le saucisson, les vintages qui reviennent de l'Anjou Vélo Vintage et qui laissent leur pneu éclater au soleil, les piétons du coin qui viennent à chaque fois que le Tour passe par là, les touristes venus en camping car... Chacun s'arrête où il veut le long de l'étape, et encourage avec force klaxons et levées de coude ceux qui montent pour choisir un poste d'observation plus haut dans la montagne. A 11h, déjà, la pente est pleine, la liesse est là, chacun rivalise d'originalité entre déguisements d'ours et maillot à pois. Même le kitchissime bob à carreaux Cochonnou se retrouve à l'honneur, arboré fièrement par les 3/4 des spectateurs. Quand passe quelqu'un, un cycliste, une voiture, la caravane, c'est l'euphorie générale, peu importe qui monte, aujourd'hui, tous ceux qui gravissent le Mont Ventoux sont applaudis. Une sorte d'entraînement au passage des (vrais) coureurs, qui sera certes plus intense, néanmoins nettement plus bref. Le Ventoux, l'espace d'une journée, devient un incroyable mélange bigarré où, peu importe qui tu es, tu acclames et tu es acclamé.
 
Mythique de nouveau car ce mont Ventoux était étêté pour l'occasion, scandalisant l'ensemble des fidèles spectateurs et sans doute une partie des coureurs, ces 6 derniers kilomètres, qui sont peut-être la partie critique du tour, ceux qui permettraient peut-être à Nairo Quintana, le colombien, de sortir son épingle du jeu. Ceux aussi qui illustrent ce paysage lunaire, dont on parle si souvent. Car, comme l’écrit si bien Barthes, dans Mythologies, éditions du Seuil, 1957, « physiquement, le Ventoux est affreux : chauve (atteint de séborrhée sèche, dit l’Equipe), il est l’esprit même du sec ; son climat absolu ( il est bien plus une essence de climat qu’un espace géographique) en fait un terrain damné, un lieu d’épreuve pour le héros, quelque chose comme un enfer supérieur (…) sur le Ventoux, nous dit-on, on a déjà quitté la planète Terre, on voisine là avec des astres inconnus »  Le géant de Provence est il toujours géant sans son extrémité ? La décision de le raccourcir a été prise le 13 juillet, à cause des conditions météorologiques. Un vent à décorner les boeufs, à 80 km/h, des rafales jusqu’à 110, ferait bien du mal à nos coureurs sur leur vélo.  Trop dangereux, on arrêtera l'étape 6 km plus bas, à l'abri du vent. 1000 camping-cars avaient été comptabilisés sur le haut du Mont, condamnés à redescendre un peu plus bas. Arrivés pour certains une semaine à l'avance, c'est une petite déconfiture après une si longue attente. Un groupe restera là haut tout de même, affrontant les vents déchaînés. Le jour J, une rafale à 140 km/h renversera même un camping-car un peu trop têtu…
 
Mythique enfin car c'est l’étape de la chute de Christopher Froome, sacré déjà 2 fois vainqueur du Tour, toujours favori, presque déjà assuré de sa victoire. En haut, à l'arrivée, posté sur un rocher, on l'attend. On guette le jaune, on a peur de le rater, qu'il passe trop vite et que le moment de sa victoire nous échappe, 30 secondes d'inattention et c'est fini. En sourdine, les commentaires nous racontent ce qu'il se passe, le peloton de tête, l'échappée. Jusqu'à la chute. Tout le monde la connaît celle là, la chute de Richie Porte qui entraîne celle de Froome et de Bauke Mollema. Personne ne comprend vraiment bien ce qu'il se passe, et de l'euphorie on passe au flou général. Les commentaires ne correspondent plus à ce que l'on voit, et arrive mollement un peloton sans jaune. Pas de cris d'encouragement, ou peu, sorte d'inattention générale qui accueille au compte-goutte des cyclistes visiblement épuisés. Peu d'informations sur eux, on attend toujours le jaune qui ne vient pas. On entend au loin qu'il ne remonte pas sur son vélo, qu'il court, qu'il en trouve un autre. Tout devient un peu lent et très peu clair; l'enquête reste à mener. Le moment intéressant, c'est celui où les hypothèses alors se déchaînent : c'est une moto de journaliste qui aurait fait chuter Froome. Non c'est un policier qui essayait de calmer un spectateur, car les barrières de sécurité n'étaient pas installées à cause de l'étêtement du mont. Le cadre est cassé. Quelqu'un l'a volé. Il récupère un cadre de la voiture Mavic. Non, sa cale auto ne calait plus. Non c'est en fait son dérailleur. Tout y passe, on ne sait pas grand chose. Après, quand les coureurs sont tous arrivés et que le public se presse pour redescendre et rejoindre la civilisation, les discussions vont bon train. Quelques poignées de fan s’attardent sur le lieu de la chute, chacun allant de son anecdote de témoin. « J’y étais, j’ai vu la chute! » « Le vélo est tombé ici » « Regardez, j’ai sa gourde ». Un groupe de bretons a tout enregistré, sur téléphone et appareil photo et se presse auprès des journalistes, excités du scoop qu’ils détiennent, les vidéos de l’instant si précieux, la vérité que chacun cherche, eux la possèdent. L’un d’entre eux nous tend une gourde remplie d’un liquide bleu ; celle de Froome que l’équipe lui a laissée, grand seigneur.
L’image que l'on retient c'est celle d'un cycliste prêt au triathlon ou à l'alleycat courir dans les pentes pour ne pas perdre son retard. "Froome à pied", titrera la presse. Les connaisseurs des cales auto admireront la ténacité du coureur, prêt sur 10 mètres à courir avec ces chaussures inadaptées à la marche. Mais pour Froome, c’est de son jaune qu’il est question. Quintana qui s’était fait distancer de 20 secondes profite de l’occasion pour le dépasser, et Froome arrivera même 5’05 après la bataille. Il ne gagnera pas l’étape mais il reste son classement général. 10 secondes, 10 mètres trop précieux ! Gardera-t-il ou ne gardera-t-il pas son maillot jaune ? Le temps de la décision des juges, tout s’immobilise. Une dizaine de minutes semble une éternité, propice à inventer toute sorte de scénarii sur l'issue de la course, du Tour entier, d'une carrière. 10 minutes en fait extrêmement rapides pour redonner 10 secondes à Froome et lui faire ainsi garder son maillot jaune. Incroyable comme le Mont Ventoux a duré si peu et si longtemps en même temps, incroyable comme notre temps d'ascension, notre attente d’une journée entière, parfois d’une semaine, s’attache et se suffit d’une dizaine de minutes, d’une dizaine de secondes, d’une dizaine de mètres d'excitation.

Restera de cet accordéon temporel l’image d’un drapeau sérigraphié du CVV qui a flotté quelques instants au km1, encouragé par un cadre en carbone brandi fièrement pour l’occasion. Peu importe d’où tu viens et quel cycliste tu es, au mont Ventoux si tu montes, tu sera fêté comme il se doit, tu acclameras et tu sera acclamé.