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Ubérisation du vélo : petit job ou grosse arnaque ?

Cvv web livreur veloOn n'arrête pas d'en parler. Le vélo est économique, et on peut se faire de la maille avec. Depuis quelques années, le métier de coursier à vélo s'est ultra développé. Hyper organisé chez les Suisses, célèbre chez les américains, extrême chez les canadiens, engagé chez les anglais, en France, où en est-on ?
 
 
 
 
 


À la capitale, la ville est sillonnée par divers cyclistes aux couleurs différentes. De Courriier à Foodora, les contrats diffèrent, les logos varient, mais on les voit partout et un vélo cargo ne surprend plus personne.  Dans les villes de province, la réalité est un peu différente. Les entreprises de coursiers qui emploient avec des contrats fixes sont en général des très petites entreprises, employant 3 à 4 salariés. Ou bien ils sont seuls, en indépendant. Ou alors, et c'est là que l'actualité est brûlante, ils roulent en tant qu'auto-entrepeneurs, aux couleurs d'une start-up. On ne va pas en remettre une couche. Des milliers d'articles ont déjà été écrits sur le sujet, sur les conditions de travail, les risques, l'assurance, les liens de subordinaions qui conduisent aux nombreuses dénonciations de salariat déguisé, la chute de Take Eat Easy...

À Marseille, deuxième plus grosse ville de France, Deliveroo est arrivé au printemps dernier. Curieusement en retard, si on compare à Toulouse ou Nantes, des villes bien plus petites mais qui ont vu les boites kangourou envahir les rues quelques 6 mois avant. Et puis, quand on en parle, l'actualité de la livraison ou de la course à vélo semble être assez méconnue... On vous en a déjà parlé dans un article, le maillon vert parcourt Marseille pour livrer principalement des colis. En parallèle existe VTT Courses, INDZ, Yamin oeuvrant seul sur son vélo. Trois petites boites de coursiers pour la deuxième plus grosse ville de France, c'est dire si Marseille est retard.
Et désormais, se retrouvent sur la place de la Préfécture des tas de jeunes (majoritairement), qui travaillent en tant que livreurs pour Deliveroo. Ils sont aujourd'hui 140, employés à Marseille... Allo resto et Sushi and Co livrent aussi à vélo maintenant. On attend Foodora au tournant. Au Collectif Vélos en Ville, on les voit passer de plus en plus régulièrement. En une permanence, c'est un livreur qui passe regonfler, un en pleine livraison qui vient de crever et nous appelle en panique « à quelle heure vous fermez, j'ai le temps de passer ? », et un livreur avec sa roue à plat qui arrive : « je dois bosser dans une heure, j'ai ma roue crevée, vous pouvez m'aider ? »« tu sais faire ? » « oui je pense ! », « ok, les rustines sont là-bas » « heu, c'est quoi une rustine ? » « ha... bon on va t'expliquer ». On est content de voir des nouveaux cyclistes sillonner la ville et se rendre compte que Marseille à vélo, c'est faisable et même plaisant... Mais on s'inquiète aussi de voir des futurs livreurs tout content de leur nouveau job acheter leur premier vélo pour ça, et n'avoir aucune notion de la réparation à vélo, et aucune habitude de cyclisme à Marseille. Car livreur à vélo, c'est un emploi à discuter ….
Il paraît que c'est le contrat de la liberté. Auto-entrepreneur prestataire pour Deliveroo. Gagner vite, et peut-être beaucoup. À raison de 5 euros la commande, et un minimum garanti de 7,5 euros de l'heure entre 12h et 14h et 10 euros de l'heure entre 19h et 22h, ca peut aller vite. 1 shift de 3 heures par soir par semaine, et c'est un minimum de 120 euros par mois. On vous laisse faire le calcul. Acheter un vélo d'occasion, ça n'est pas très cher, une adhésion à un atelier d'auto-réparation et tu peux apprendre à réparer vite fait ton vélo... Ça semble une bonne option, une rentrée d'argent efficace, avec peu de dépenses. En plus, quand tu as moins de 25 ans ou demandeur d'emploi bénéficiaire du RSA, avec l'ACCRE (toutes les infos ici), tu es exonéré pendant ta première année de charges. C'est une opportunité vraiment tentante, non ? Un bon dépannage quand il y a besoin. Voire plus pour certain. Mais les dépenses, elles sont d'une autre forme. Un métier comme celui de livreur à vélo à Marseille, c'est le plaisir de parcourir la ville, mais aussi le danger de rouler dans notre chère cité sans piste cyclable. C'est l'adrénaline du vélo, mais les réparations à sa charge. C'est choisir de dépenser peu, mais prendre le risque de ne pas avoir d'assurance, puisqu'elle est, elle aussi, à la charge de l'auto-entrepreneur. C'est faire une activité physique, bonne pour la santé, mais c'est être disponible et en attente pendant des heures. C'est de l'argent vite gagné sur le coup, mais pas de cotisation au chômage pour l'avenir. C'est accéder rapidement à un emploi : un simple appel pour un premier rendez-vous où on t'explique comment fonctionne l'application (pour s'inscrire sur les shifts), l'entreprise ; et le contrat de « livreur libéral » est signé. Mais le perdre encore plus rapidement, au moindre défaut de téléphone, dans l'incapacité de prévenir l'application, le refus de Deliveroo de te remettre sur la plateforme d'accès aux réservation des courses. C'est la liberté de choisir ses horaires, mais premier arrivé premier servi, et devoir être réveillé à 8h le mercredi matin quand les shifts sont accessibles. C'est être son propre patron, mais porter un sac inconfortable et un uniforme. Des histoires circulent sur l'obligation ou non de l'uniforme. Y a t-il des sanctions si on ne le porte pas ? De toutes manières, il n'y a pas de responsable à Marseille, il habite à Lyon, alors il n'y a pas de vérification. Et puis, pourquoi s'en priver, après tout c'est encore une économie de ne pas user ses propres vêtements, et il paraît que la veste est confortable. Livrer à Marseille, c'est surement participer à la valorisation et la reconnaissance du vélo dans cette ville qui ne fait rien pour, mais c'est aussi peut-être prendre plus de risques dans une circulation souvent qualifiée de dangereuse. C'est une chouette forme de diversité d'activités, étudiant le matin, livreur le midi, architecte l'après-midi. C'est, selon un livreur marseillais, « la meilleur manière de découvrir une ville ». Mais c'est aussi laisser une entreprise opter pour ce qu'on reconnaît aujourd'hui comme du salariat déguisé, et d'une certaine manière, ne pas lutter contre la dégringolade de notre droit du travail.

Récemment, Paris a vu arriver une nouvelle entreprise dont on commence juste à parler. Cyclofix, les réparateurs à vélo qui se déplacent jusqu'à vous. À Marseille, qui ne connait pas Docteur Youcef et son cargo bleu, ses montages à la carte et son béret ? Typique de cette différence. Un indépendant seul, en micro-entreprise ou auto-entrepreneur, versus une start-up qui emploie des auto-entrepreneurs en tant que prestataires. Arretons nous un instant : Cyclofix, qu'est ce que c'est ? Arborant un joli logo mettant en scène la goutte de localisation de googlemaps et une clé plate, Cyclofix vous dit : où que vous soyez, un réparateur se déplace jusqu'à vous avec l'outil et les compétences mécaniques qui vous manquent. Car il paraît que « Selon une enquête nationale, le délai moyen de réparation en magasin varie de trois à cinq jours, Et si vous pouviez faire réparer votre vélo aussi simplement et rapidement que vous vous faites livrer un repas ? Plus besoin de l’emmener à bout de bras chez le réparateur et de revenir le chercher quelques jours plus tard. »
Voilà, tout est dit : vous êtes pressés, vous ne pouvez plus vous déplacer, vous ne savez pas faire vous même, heureusement, Cyclofix est là et vient à vous. Vous payez simplement les pièces et la main d'oeuvre, le déplacement est gratuit, et vous avez le droit en plus au sourire du crémier, pardon du cyclofixeur. Pour le moment Cyclofix est une petite start-up, qui emploie environ 5 réparateurs. Mais ça marche du tonnerre, et les cyclofixeurs devraient doubler assez rapidement.
Les réparateurs sont indépendants, et Cyclofix, comme Deliveroo pour la livraison de repas, sert de plateforme de mise en relation entre client et réparateurs. Avec tous les débats sur le salariat déguisé, bien sur que Cyclofix précise tout ça. Alors, comment ca marche ? Les réparateurs gagnent 75% du chiffre d'affaire généré. Soit, sur une réparation « remplacement d'une paire de patin plus réglage » à 18 euros,  13,5 euros. Moins le consommable. Si on imagine qu'un patin de frein coute 0,50 cts net, on est donc à 75% de 17 euros, soit 12,75.
Avantage de l'indépendance, la souplesse. Sauf que, encore une fois, les réparateurs obtiennent leurs courses via une application, avec inscription au premier arrivé premier servi. Souplesse toute relative donc, avec mise en concurrence des réparateurs entre eux. Chacun pour soi, mais tous pour Cyclofix.
Avantage de l'indépendance, la liberté. Sauf qu'il est, encore une fois, fortement conseillé, voire obligatoire, de porter les couleurs de la boite. Par exemple, la veste, à la somme modique de 68 euros. Être son propre patron, mais faire le marketing de quelqu'un d'autre. Et si le matériel, outils et remorque, appartiennent pour le moment à Cyclofix, qu'ils stockent dans leur local, ça ne va pas durer. Le vélo et le téléphone sont déjà à ta charge, et tu peux désormais acheter la remorque pour 200 euros et quelques. Car, un des dangers de ces plateformes, et c'est là encore que l'actualité est brulante, c'est qu'on ne doit pas pouvoir établir de lien de subordination, sous peine de se voir requalifier un contrat de prestataire en contrat de travail (et donc … payer des charges...). Cyclofix vient donc d'établir un nouveau contrat exigeant que les prestataires soient autonomes en outillage.
Et l'Indemnité Kilométrique Vélo, ils y pensent ?

On pourrait continuer longtemps, mais il semble qu'on fera le même constat entre Deliveroo et Cyclofix. Celui d'un travail qu'on peut qualifier de précaire, celui de l'ubérisation qui conduit à du salariat déguisé, celui d'un bon plan sur le coup derrière lequel se cache quelques déconvenues.
Avec le développement de la pratique du vélo, on peut être sûr du développement de ce genre d'emploi. Et tant mieux ! Livrer à vélo, bien sûr, être un vélociste mobile, on est pour, mais on préfèrerait que ça soit dans des conditions humaines, et sans mettre en danger, encore une fois, notre droit du travail. Car c'est possible, de travailler à vélo, d'être prestataire et correctement payé, d'avoir des horaires décents, une sécurité vis à vis de la dangerosité du métier, une vraie indépendance. A Toulouse, il y a Alter Mobil. En Belgique et à Bristol, les livreurs de Deliveroo se sont réunis en syndicat. Résultat : une belle victoire par la revalorisation de leur contrat.
En France, c'est Jérôme Pimot, ancien livreur, désormais porte parole du collectif de livreurs, qui conduit Deliveroo et Toktoktok aux Prud'hommes pour demander une revalorisation de son contrat en contrat de travail.
Résultat, des mois d'attente, qui dûrent encore puisqu'il attend une date pour l'audience de départage. On vous laisse lire leurs histoires, en esperant que ça inspirera nos livreurs marseillais.