Vélotour à Marseille : un deux-roues pas très carré
Marsactu, 18 octobre 2012, Jean-Marie Leforestier (avec Julien Vinzent)
Événement largement soutenu par la mairie, le Vélotour Marseille, sous ses aspects associatifs est en fait une joyeuse opération commerciale.
L'idylle dure désormais depuis trois ans. Le Vélotour a conquis la mairie de Marseille. Pensez, quelques milliers de personnes dont un tiers de non Marseillais qui enfourchent leur bicyclette pour découvrir les richesses patrimoniales, culturelles, industrielles de la ville. Cette année, il est proposé de traverser à vélo le palais des sports, l'opéra ou encore le mémorial de La Marseillaise. La belle aubaine. Enfin une occasion pour sortir du Marseille bashing que le maire Jean-Claude Gaudin n'a de cesse de fustiger avec son désormais hit single "C'est la faute aux médias".
Du coup, la mairie met le paquet. Le Vélotour fait désormais partie de la liste des "grands événements" de l'année et a même été décalé de juin à octobre pour ne pas télescoper la Fête du vélo, événement plus revendicatif (sur la place du vélo, sur les déplacements non polluants) organisé par le collectif marseillais Vélos en ville. Maurice Di Nocera, le conseiller municipal délégué à ces fameux grands événements nous a donc fait l'article mardi à l'hôtel de ville (à l'époque, nous ignorions aussi la nature exacte de l'événement, d'où une certaine approximation dans la formulation des questions).
Interview de Maurice Di Nocera, le conseiller municipal
http://www.dailymotion.com/video/xuf79z_velotour-nous-ne-subventionnons-que-des-associations-maurice-di-nocera_news
L'élu présentait l'événement comme "subventionné" à hauteur de 40 000 euros lors de cette conférence de presse, persuadé, comme nous, qu'il s'agissait d'une initiative associative. Il s'agit en fait d'un événement commercial porté par une entreprise, Event etcetera, basée à Paris. Elle sous-traite juste la gestion administrative de l'événement à l'association Vélotour. Point commun entre la boîte et l'asso, un même patron, Pierre-Henri D(*), qui jongle entre ses deux casquettes. À Orléans et Dijon, Vélotour fait appel aux services d'Event etcetera. À Marseille, c'est l'inverse. Jusqu'à l'an dernier, Event etcetera sud-est (une autre société où Pierre-Henri D n'avait pas de participation) était à la manoeuvre, Désormais, c'est Event etcetera tout court, dont il est actionnaire à 50 %, son associé étant l'ancien trésorier de l'association.
Une convention explicitant les intérêts croisés du président aurait dû être signée par le conseil d'administration de l'asso : cela n'a pas été fait, explique l'intéressé. Pas vraiment limpide. Même les services de la mairie de Marseille s'y perdent à tel point que l'on peut s'interroger sur le sérieux du contrôle opéré par l'institution. Les versements correspondant à des "achats d'espace", grosso modo, des bandeaux publicitaires pour apparaître sur la communication de l'événement, sont bien versés à Event etcetera. Mais l'on trouve par exemple trace, dans le recueil des actes administratifs de la Ville de Marseille, en mai 2011, de la mention "Association Event etcetera". Une structure qui n'existe tout simplement pas.
Dans ce cas, il ne s'agit que d'un accord pour "l'installation d’un stand d’inscription sur le quai de la fraternité dans le cadre de Marseille Vélo Tour 2011". Rien de bien méchant donc. Mais combien de fois la confusion a-t-elle été commise ? Celle-ci semble en tout cas entretenue par les organisateurs qu'il a fallu pousser dans leurs retranchements pour obtenir la précision des montages.
En 2011, 50 000 euros de pub de la mairie
Les questions vont d'ailleurs plus loin. Toutes subventions publiques confondues, l'association reçoit plus de 50 000 euros avec les collectivités territoriales orléanaises et dijonnaises. À Marseille, l'argent de la Ville via "l'achat d'espaces" représente la grosse majorité du budget de l'événement, 50 000 euros sur 68 000 l'an dernier, 40 000 euros cette année, prélevés sur le budget com' et, contrairement aux subventions, non votés en conseil municipal. Le reste du budget est complété par des partenaires privés mais surtout, à hauteur de 15 000 euros en 2011, par le paiement des billets dont le coût augmente au fûr et à mesure qu'approche l'événement, passant de 5 à 15 euros par adulte (avec des exonérations pour les moins fortunés). Pas donné pour les retardataires mais le sytème vise à permettre de mieux calibrer la manifestation.
Derrière, et il en va de même dans les trois villes, travaillent notamment l'entreprise de billetique de Pierre-Henri D, Weezevent, et l'entreprise de son frère, AVS communication, qui explique sur son site réaliser "l’ensemble de la signalétique de ces trois événements. Banderoles publicitaires, panneaux informatifs, habillage de tentes, plaques de vélo en PVC sérigraphié, windflag (oriflammes) sortent pour chaque édition de notre atelier". Interrogé, Pierre-Henri D dément et parle simplement de "bâches" publicitaires.
Les sommes concernées restent en tout état de cause très légères et ses commandes relèvent bien davantage de la facilité - "quand vous avez un besoin et qu'un proche peut y répondre, vous lui demandez à lui, c'est normal" - que de la volonté d'enrichissement. Weezevent a récupéré grâce au Vélotour 2011, 1 800 euros de commissions : "trouvez-moi moins cher", répondent en choeur les organisateurs. Et il est vrai qu'à 99 centimes par billet vendu, le service fourni est très compétitif. Concernant la signalétique, si elle est importante sur le parcours, ce n'est bien sûr pas ce qui permet à AVS communication de faire vivre ses "12 collaborateurs". Même la société organisatrice du Vélotour Marseille 2011 n'a dégagé que 2000 euros de bénéfice en ne rémunérant personne. "C'est pour cela que j'ai arrêté", confirme le gérant de l'époque, aujourd'hui pilote d'hélicoptère dans l'armée.
Changement de braquet en 2013
Reste donc cette étrange gestion de l'argent public, qu'il provienne d'un marché public ou d'une subvention et l'absence de vigilance. Combien de Vélotour de passe-passe à la mairie ? Quand nous avons fait part mardi de nos doutes à Maurice Di Nocera quant à l'organisation de cette manifestation, sa réaction a été limpide : "Moi je ne donnerais pas d'argent si c'était du privé[lucratif]." Manque de bol, on y est.
Cet événement, de l'avis de tous, est certes un succès. 200 bénévoles et 5 000 participants ont été annoncés l'an dernier, 10 000 sont prévus à l'occasion de Marseille 2013 pour en faire "le plus grand rassemblement cycliste de France". Les financements publics suivront-ils la même croissance ? Dans une ville toujours à la traîne sur la pratique du biclou, la mairie de Marseille ne semble pas prête à lâcher son opération de vélo washing avec, qui plus est, un opérateur extérieur qui préfère arborer le sourire plutôt que le poing levé des locaux de Vélos en ville, ce qui ne gâche rien à l'affaire.
(*) Nous n'avons pas jugé utile de donner le nom complet, facilement trouvable par ailleurs, afin de ne pas nuire outre mesure à cette personne qui, a priori, n'a pas retiré de grands bénéfices dans cette histoire.